L'économie positive, oui mais concrètement ?

Les 13 et 14 septembre derniers j'ai eu l'occasion d'assister au LH Forum organisé par Planet Finance au Havre. Cette manifestation avait pour but de mettre en lumière ce que Jacques Attali appelle "l'économie positive". Un programme alléchant, mais qui m'a laissé sur ma faim.

Un discours consensuel qui fait l’unanimité

Nous vivons au détriment des générations passées et futures.

Jacques Attali mettait les pieds les plats dès le début de la conférence en affirmant qu'il devenait urgent de faire émerger un nouveau modèle avec cinq axes principaux prioritaires : théoriser, diffuser, mesurer, inciter légiférer. Les autres intervenants de la séance d’ouverture ont également positionné leurs discours sur la même thématique : il est nécessaire de mettre un terme au règne de l'individualisme pour "permettre à l'altruisme de prendre une place centrale dans nos sociétés", toujours selon Attali. Ou encore, selon le Président Hollande :

Aujourd'hui, l'économie n'est pas vue comme une solution mais bien comme un problème.

Le second temps de cette première séance mettait aux prises des personnalités telles que Gérard Mestrallet (Président Directeur Général GDF Suez) et Erik Izraelewicz (Rédacteur en chef du Monde) puis Henri Lachmann (Président du conseil de surveillance Schneider Electric) et Philippe Mabille (Journaliste à La tribune). Nous avons touché à un point crucial :

Comment pouvons-nous construire une société altruiste si nos entreprises sont égoïstes ?

Cet égoïsme serait le résultat de deux écarts :

  • La différence de temporalité entre les temps liés à la contruction et les temps liés aux gains des actionnaires :"Le temps de la finance ne correspond plus au temps de l'entreprise."
  • La différences de but entre les différentes parties prenantes de l'entreprise, les salariés, les dirigeants, les actionnaires, les consommateurs...

Néanmoins les échanges n’ont pas laissé apparaitre de solutions impactantes, exceptée une possible régulation du système financier. La non régulation de celui-ci serait, selon Monsieur Hollande, une des origines des problèmes environnementaux, sociaux et économiques que nous connaissons actuellement. Encore une fois, rien de bien nouveau.

Un constat, des solutions... mais quel impact ?

Au delà de cette séance d'ouverture, le LH Forum, bien que très bien organisé, avec des intervenants de qualité dont la diversité était appréciable, m’a laissé sur ma faim. La plupart des discours n’étaient, à mon sens, pas adaptés : il a plus été question de démontrer comment l’entreprise pouvait également développer une fibre sociale (via des programmes de "responsabilité sociale des entreprise" (RSE) ou autre...) ou de donner une belle visibilité à des "micro-solutions" répondant à des problématiques locales. http://www.youtube.com/watch?v=3e5a-2kqQsI J’aurais souhaité des analyses plus poussées qui auraient permis la co-construction de solutions, mais également découvrir des visions beaucoup plus disruptives.

Les “micro-solutions”, aussi inspirantes soient-elles et méritant une large diffusion autant qu’une reconnaissance légitime, me semblent néanmoins perdre de vue la notion d’impact dans l’émergence d’une nouvelle organisation économique.

Je suis sorti de ces deux jours avec la certitude que OuiShare avait un rôle à jouer dans ce panorama en proposant, théorisant et en diffusant - pour reprendre Monsieur Attali - des solutions issues d’initiatives dont l’impact est beaucoup plus global et qui permettent, à terme, l’émergence d’un modèle d’économie différent plus “harmonieux” (Hollande) et plus “positif” (Attali). Cette nouvelle économie intégrerait un système productif distribué, où la concurrence existe mais où elle est facteur d’innovation au service du consommateur. En réalité ce nouveau système est d’ores et déjà en train d’investir de nombreux champs de l’économie à la manière d’une lame de fond (comme le montre l'exemple de la mobilité). Nombre de questions méritent aujourd'hui d’être portées sur la place publique si l’on souhaite accélérer la mutation et proposer des solutions viables qui vont au-delà de la régulation financière, pour sortir de cette crise. J'ai été étonné que la question des brevets, du développement de l’open source et de sa mise en place dans l’économie réelle ne soit pas abordées. Pourtant, le premier ministre vient de signer une circulaire inédite en faveur de les logiciels libres ! Mais non, point d'open-source au LH Forum...

Le changement ne pourra être que radical

Il y a tout de même un aspect qui m'a plu : la valorisation de ceux qui osent, qui agissent. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'appeler de ses voeux l'emergence d'un monde nouveau, mais de contribuer à sa réalisation. Malheureusement, nos politiques actuels ont le plus grand mal à s'émanciper de l’organisation actuelle de l’économie (qui va pourtant droit dans le mur) et à appréhender un changement qui ne pourra être que radical. Nous vivons dans un monde de plus en plus décentralisé et donc complexe, au sens d'Edgar Morin : les solutions seront donc complexes et ne pourront émerger que de façon ascendante (bottom-up).

  • L’économie sociale et solidaire n’est pas une économie du pauvre ou du pays lointain en “voie de développement”
  • L’open source n’est pas une lubie de geek vivant dans un monde parallèle
  • L'émergence de nouvelles solutions ne peut pas se passer du formidable levier qu’est le monde de l'entreprise

Là encore ce sont des constats mais c’est en mêlant ces trois ingrédients, et d’autres, trop cloisonnés à des publics d'initiés, que nous verrons émerger un modèle économique innovant, et dont l’impact permettra de répondre aux besoins du plus grand nombre. Il me semble que c'est ce que OuiShare tente de faire aujourd'hui. La question "fil rouge" de la définition de l'économie positive me semble stérile. La "vraie" question est : comment coordonner, articuler ces différents leviers d'innovation portés par des communautés qui ne parlent tout simplement pas la même langue mais qui ont un objectif commun sur le long terme ? Le LH forum reste une belle initiative puisqu’il a permis de mettre en lumière différents constats et initiatives mais il est, il me semble, passé à coté d’un certain nombre de questions qui sont pourtant centrales dans l’émergence d’un nouveau modèle. Pour conclure je reprendrai les mots utilisés par les quelques manifestants venus perturber l’ouverture du forum :

Moins de mots, plus de boulot !