La consommation émergente n'est pas militante

La consommation collaborative est en train de s'installer durablement dans le paysage de la consommation, mais n'est pas liée à un rejet brutal du modèle de société actuel, conclut l'Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), qui dévoilait ce matin les résultats de sa dernière étude.L'Observatoire des Consommations Emergentes

est l'une des premières études sérieuses qui apporte des analyses chiffrées et des enseignements clés sur les pratiques de consommations émergentes. La sémantique n'a d'ailleurs pas été choisie au hasard.

Nous avons eu un débat en interne sur le qualificatif le plus approprié à ces formes de consommation. Nous avons qualifié ces pratiques d'émergentes car elles ne sont pas nécessairement nouvelles et surtout on aurait tort de les qualifier d'alternatives. - Robert Rochefort

Alors de quoi parle-t-on ? De l'émergence de la consommation "C2C" (consumer to consumer) c'est à dire en vrac l'achat, la revente, la location ou le prêt entre particuliers, de l'attrait accru pour le local, le consommer bio ou équitable.... Tout cela sous l'effet conjugué des nouvelles technologies et de la crise comme catalyseur, comme nous explique Robert Rochefort :

La consommation change car la société est en crise. Face à ces crises, de nouvelles pratiques émergent qu'on pourrait être tenté de qualifier de déconsommation ou de consommation alternative mais il n'y a pas fondamentalement de rejet de la société de consommation.

Cette aspiration à consommer mieux serait moins la conséquence d’un rejet de la consommation en tant que telle que le reflet d’une volonté à la fois d’optimiser ses dépenses, d’accéder à des produits de qualité (en particulier, qui n’exposent à aucun danger) et, si possible, d’avoir au travers de sa consommation un geste citoyen sur le plan environnemental et sociétal.

La consommation collaborative est en vogue

Aujourd’hui, l'achat de produits d’occasion est devenu un geste presque banal, et constitue en tout cas la pratique émergente la plus diffusée. Elle concerne en effet, avec une intensité variable, plus de 60% des Français. La vente d’occasion est à peine moins courante : 49 % des personnes interrogées déclarent avoir procédé à la revente d’au moins un produit au cours des 12 derniers mois

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Le recours à l’occasion est si banalisé que le profil sociodémographique des personnes qui les pratiquent ne se distingue pas significativement de celui de l’ensemble des consommateurs. - L'ObSoCo

L’emprunt est un mode de consommation qui touche un Français sur deux, et, plus particulièrement les plus jeunes. L’emprunt s’effectue avant tout au sein du cercle de socialité (amis, famille, voisins…). Il porte le plus souvent sur des produits culturels ou du matériel pour le bricolage. Mais 10% des répondants déclarent avoir déjà emprunté une voiture. Le potentiel de ce mode de consommation semble important : 62 % des consommateurs interrogés se déclarent intéressés par l’idée d’un service de prêt de produit ou de matériel qui pourrait être créé à l’échelle du quartier, et autant seraient disposés à mettre à disposition d’un tel service certains produits leur appartenant. 19 % des consommateurs interrogés affirment avoir procédé à location d’au moins un produit (hors automobile) au cours des 12 derniers mois. Ce chiffre, relativement modeste, est en dissonance avec les 83 % de Français qui s’accordent autour de l’idée qu’« aujourd’hui, l’important c’est de pouvoir utiliser un produit plus que de le posséder ».

Pour 83 % de Français, l’important c’est de pouvoir utiliser un produit plus que de le posséder

La faiblesse du recours à la location ne serait-elle pas la conséquence d’une insuffisance de l’offre, s'interroge l'ObSoCo mentionnant les balbutiements d'une offre de location entre particuliers et l’engagement très récent de grandes enseignes de la distribution dans la location (par exemple, Leroy Merlin ou Monsieur Bricolage).

L'émergence des nouvelles technologies

À la mise en réseau à grande échelle permise par Internet, s'ajoute les services proposés par les plateformes (et systèmes de réputation, assurances…) qui apportent de la facilité d’usage, de la sécurité et en retour de la confiance. Le marché de l'occasion passe aujourd'hui principalement par Internet : 44 % des achats de produits d’occasion ont été effectués auprès d’un particulier via un site Internet, loin devant les brocantes et vide-greniers (19%). L'étude précise :

L’intensité de la plupart des pratiques de consommation émergentes étudiée est positivement corrélée à celle de l’usage que les consommateurs font d’Internet : les consommateurs qui consultent le plus les avis de consommateurs, qui fréquentent les forums, qui prennent la parole sur la toile… sont généralement plus engagés dans les pratiques de consommation émergentes.

Motivations économiques

Faire des économies est souvent la première justification mise en avant par les consommateurs impliqués dans les consommations émergentes. C’est le cas notamment pour les achats d’occasion pour lesquels cette motivation est considérée comme « très importante » par 49 % des individus.

Les sombres perspectives en matière d’évolution du pouvoir d’achat des ménages pour les prochaines années constituent de ce point de vue un facteur de diffusion et d’intensification des pratiques de consommation émergentes.

La typologie des consommateurs émergents

Si 47% sont peu réceptifs ("Passifs") à ces nouvelles pratiques, au final une majorité de français aurait déjà adopté des formes de consommation émergente, ils sont regroupés en 3 grands types : Les Bio-Ethiques sont les accrus du bio et de l'équitable. A l'aise financièrement et portés vers la consommation responsable, ils sont peu portés vers le reste des consommations émergentes. Les Eclectiques sont plutôt plus jeunes que la moyenne, très connectés, pour lesquels ces pratiques de consommation s'imposent comme un mode de consommation ordinaire et ayant peu de ressort idéologique. Les Radicaux sont très impliqués dans l'ensemble de ces pratiques, qui revêtent pour eux une dimension de solidarité et de partage. Ils n'ont pas une attitude critique vis-à-vis de la société de consommation pour autant. Les CSP+ y sont sur-représentés.

Quelle place pour la grande distribution ?

Au final, l'un des principaux enseignements de cet observatoire est que les pratiques de consommation émergente ne sont pas forcément liés à un quelconque rejet de la société de consommation ou du “méchant capitalisme". Selon l'ObSoCo :

L’essor de ces pratiques ne peut que marginalement s’interpréter comme la conséquence de la montée d’une posture critique à l’égard de la société d’hyperconsommation, d’une entrée en résistance massive des consommateurs.

Plutôt une bonne nouvelle donc pour les acteurs « traditionnels » de l’offre que sont les distributeurs généralistes et spécialisés qui semblent avoir toute leur place sur ces nouvelles pratiques. Et si la Grande Distribution accélérait la croissance de la Consommation Collaborative ?