Reconstituer une filière de production locale, de A à Z : c'est l'ambition affichée de Made In Montreuil. Cette coopérative est en train d'ouvrir un tiers-lieu d'un genre nouveau : ICI Montreuil, qui permettra aux créateurs de concevoir, fabriquer, commercialiser et vendre leurs objets dans un seul espace de plus de 1800 m2. Rencontre avec Nicolas Bard, qui est à l'origine du projet. Parmi les communes frontalières de Paris, Montreuil se distingue. Jeune, dynamique, écolo, parfois bobo... au-delà des clichés, il faut noter qu'elle rassemble un nombre significatif de créateurs. S'il est aisé de la comparer à un petit Berlin, Nicolas Bard, co-fondateur du projet Made in Montreuil et passionné de la ville qu'il habite depuis plus de 10 ans, préfère la rapprocher de Brooklyn, ce fourmillant quartier new-yorkais où les usines de Montreuil avaient implanté des filiales au début du siècle. Aujourd'hui, ce serait environ 20 % de la population montreuilloise qui travaillerait dans le secteur de la création, d'après Nicolas.
Une filière de production locale pour soutenir la communauté des créateurs
Ces créateurs rencontrent de nombreuses difficultés liées notamment au manque d'espace disponible en milieu urbain : les ateliers encore si nombreux à Montreuil il y a quelques décennies ont quasiment disparu, et il devient très compliqué d'avoir accès à des machines permettant de travailler le bois ou le métal. La vente des objets passe quant à elle systématiquement par des intermédiaires, ce qui réduit la rémunération des créateurs. Ces constats sont le point de départ d'un projet dédié à la (re)création de filières de production locales, dont l'objectif est de soutenir les créateurs en leur offrant un espace de travail qui leur permette de "tout faire sur place", du prototypage jusqu'à la vente de détail.
Un espace hybride et partagé
Le lieu idéal, les initiateurs du projet l'ont trouvé : une ancienne usine de composants électriques de 1800 m2 qui pourra héberger toutes ces activités. Le bâtiment est encore en travaux, mais chaque étape de la production a déjà son espace : les ateliers bois (dont vous pouvez financer les outils ici), métal, textile et joaillerie seront complétés par un espace de fabrication numérique, un atelier dédié à des plasticiens, un studio de webdesign… [caption id="attachment_4626" align="alignnone" width="640"]
Crédit Photo : Made in Montreuil - droits réservés[/caption] Cependant, la filière de production locale imaginée par Made In Montreuil ne s'arrête pas à l'étape de fabrication. Les fondateurs ont prévu un espace de formation dans lequel seront dispensés des cours de marketing ou de gestion, un medialab ainsi qu'un studio photo, pour pouvoir fournir tous les outils nécessaires à la commercialisation des objets produits dans les ateliers. La dernière étape du parcours s'incarne dans un espace de réception ouvert au public. La galerie-showroom se double d'une boutique où les créateurs pourront vendre directement leur production. "C'est l'espace le plus important du lieu" pour Nicolas Bard, "car il faut pouvoir faire de la vente directe, pour éviter les marges trop importantes des intermédiaires". Un site de e-commerce complètera ce dispositif de vente. Ainsi, comme nous l'explique Nicolas :
En théorie, l'ensemble du cycle de production d'un objet, de sa fabrication à sa commercialisation pourra se dérouler dans ce lieu unique, en 7 jours.
Une projection qui fait penser aux itérations de 7 jours inspirées des méthodes agiles, qu'applique par exemple le projet Wikispeed. [caption id="attachment_4620" align="alignnone" width="640"]
Credit Photo : CC Flore Berlingen[/caption] Alors, comment qualifier ce lieu ? Espace de coworking, atelier d'artiste, mini-usine ? ICI Montreuil sera un peu de tout cela. Un "Creative Space" comme on en connaît pas encore en France regrette Nicolas, qui souligne les difficultés que cela implique : que ce soit pour l'assurance, les dispositifs de sécurité, les badges… l'offre adaptée n'existe pas, il faut tout inventer.
La SCIC Made in Montreuil
Pour les fondateurs, l'entreprise était le seul modèle envisageable, du fait des investissements nécessaires pour les travaux et l'achat des machines : plus de 600.000 euros. Il ont choisit le format coopératif de la SCIC pour pouvoir impliquer différent types d'acteurs, dont la Ville de Montreuil, et ont levé une partie de leurs fonds auprès de SPEAR, un autre projet coopératif innovant. Les adhérents qui le souhaitent pourront devenir sociétaires de la SCIC après un an d'adhésion. Pour assurer l'équilibre économique du projet, le lieu accueillera des locataires à temps plein (dont certains sont déjà installés dans l'espace en travaux !), des usagers réguliers (abonnements), mais aussi des visiteurs occasionnels. Les espaces ouvriront progressivement à partir de janvier 2013. C'est un beau pari que celui de vouloir concentrer toutes ces activités et tous ces acteurs dans un même lieu. La coopération attendue entre tous ses usagers sera-t-elle à la hauteur des espérances ? D'autres expériences, menées par des acteurs publics ou privés, montrent qu'il ne suffit pas de juxtaposer des activités pour créer de la collaboration entre différents acteurs. Une communauté active ne se décrète pas, même si un espace partagé facilite bien sûr son animation et sa cohésion. Le projet Made In Montreuil fédère d'ores et déjà un noyau de créateurs qui ont bien l'intention de faire de cet espace un lieu d'échanges et ont déjà prévu des moments de rencontre entre usagers et une programmation ouverte vers l'extérieur. [caption id="attachment_4623" align="alignnone" width="640"]
Crédit Photo : Made in Montreuil - droits réservés[/caption] Nous repartons enthousiastes, mais avec une question en tête : comment faire de ce lieu un espace de création ouverte et libre ? Les modèles traditionnels de protection intellectuelle de la création peuvent en effet venir entraver la coopération entre des créateurs soumis à des contraintes économiques importantes. Ils sont aussi un obstacle potentiel au partage et à l'appropriation par chacun des techniques de fabrication. Pour aller jusqu'au bout de la démarche portée par Made In Montreuil et encourager une collaboration fertile en son sein, il faudrait que ce tiers-lieu devienne aussi un espace d'invention et d'expérimentation de nouveaux modèles économiques. Comme dans le secteur du logiciel, il s'agit de trouver le moyen de rendre soutenable la création open-source. Credit Photo : FloreB - CC