Tu l’aimes, je l’aide, on s’entraide : quand le souci de l’autre se partage

L'aide, l'entraide entre proches est une source d'inspiration essentielle pour l'économie collaborative. Aujourd'hui les "aidants" (familiaux ou non) forment une population aux besoins bien spécifiques et mal connus, auxquels les projets innovants de l'économie collaborative peuvent sans doute contribuer à répondre. Zoom sur deux initiatives reposant sur l'échange d'expérience entre "aidants" et la mise en relation d'aidants et d'aidés, deux démarches facilitées par les outils numériques.

La période des fêtes est propice à passer du temps avec ses proches, et l’occasion de rendre hommage à ceux qui, au quotidien, consacrent leur temps et leur énergie à aider une personne de leur entourage. Sans forcément le savoir ou être qualifiés de tels, 8 millions de Français sont aujourd’hui des ”aidants” et parmi eux plus de 4 millions s'occupent d'un proche âgé. Derrière cette étiquette qui interroge et qui ne s’attribue pas naturellement, des histoires, chargées d’émotions, qui rythment le quotidien de nombreuses personnes. Même si celles-ci jouent un rôle clé dans l’accompagnement de leurs proches, c'est parfois au détriment de leur propre santé. D’où une idée toute simple : et si, pour mieux aider les aidés, on s’occupait d’abord des aidants ?

Être aidant, qu’est-ce que c’est ?

Si la majorité des aidants ne reçoivent pas de formation à le devenir, c’est en fait très probablement le plus vieux métier du monde. Un mélange inattendu d’amour et de colère, d’affection et d’épuisement, de responsabilité et de devoir que chacun d’entre nous sera très certainement amené à traverser au cours de sa vie.

"100 % d’entre nous sont amenés à être des aidants”, Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie.

Être aidant est une situation à laquelle on est rarement préparé et pour cause : elle peut être vécue très différemment selon les personnes. Une situation transitoire : on l’est rarement toute sa vie ; mais également un état très évolutif, presque autant que celui de la personne aidée. Finalement, la relation d’aidant est dans tous les cas une histoire très personnelle qui s’appréhende au jour le jour avec plus ou moins de brutalité.

“La première étape consiste à se reconnaître en tant qu’aidant. Je ne sais si la définition de critères précis est possible ou même souhaitable”, Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie.

Cette population, aussi mal connue que reconnue, peut vite se trouver confinée dans ce rôle au détriment de sa vie professionnelle et personnelle, de sa santé physique et psychologique. Près d’un tiers des aidants estiment que ce rôle a une incidence négative sur leur santé, souffrant pour 51 % d’entre eux d'isolement, voire de détresse psychologique. Des chiffres impressionnants surtout lorsqu’on sait que le taux de mortalité des aidants est de 63 % supérieur à la moyenne et que 30 % des aidants meurent avant l'aidé.

À l’heure du vieillissement de la population et du développement des outils collaboratifs, l’accompagnement des aidants devient un enjeu crucial mais aussi une source d’innovation incroyable.

Il s’agit tout d’abord de permettre à l’aidant de s’identifier comme tel, dans ce statut, si mal (re)connu ; puis leur apprendre à prendre soin d'eux-mêmes pour mieux prendre soin de l’autre. Enfin, s’entre-aider entre aidants, c’est mettre à l’honneur un vécu, des connaissances, des expériences, rarement valorisées par ailleurs. Huit de ces dispositifs ont été présentés en octobre dernier à Mutinerie, un espace de coworking parisien, à l'occasion d'une matinée d'ouverture de la "Semaine Bleue" présidée par Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie. Les plateformes Aidant Attitude et Age Village rassemblent conseils pratiques et témoignages d'aidants, quand la Compagnie des aidants leur permet de s’identifier et s’entraider sur un territoire, ou de se rencontrer régulièrement comme le propose l'Association Française des Aidants. Le Fonds pour les soins palliatifs apporte quant à lui son soutien à des projets innovants visant à soutenir les familles, et Siel Bleu propose des activités physiques pour préserver la santé des aidés comme des aidants. Enfin, deux projets ont particulièrement retenu notre attention, du fait de leur dimension collaborative et "P2P" (de pair-à-pair) :

Des solutions qui misent sur la proximité

Parce que chaque histoire est différente mais que ces histoires peuvent s’enrichir les unes des autres, des plate-formes de mutualisation et de partage de compétences et de savoir-faire se sont développées ces dernières années. Si la mutualisation d’expériences a du sens via le web, elle en a d’autant plus sur un territoire donné. Pour relocaliser ces échanges virtuels, des initiatives comme Voisin-âge proposent d’utiliser Internet pour mieux s’identifier et se déconnecter pour mieux s’entraider.

Voisin-âge : créer un éco-système bienveillant autour de la personne âgée

Avec Voisin-âge, le réseau ne se tisse pas (seulement) entre aidants mais autour des personnes âgées du quartier. Les personnes âgées deviennent ainsi des voisinés mis en relation avec leurs voisins, les voisineurs, agréés par les Petits Frères des Pauvres. À ne s'y méprendre, ce ne sont pas uniquement les voisinés qui sont aidés, la réciprocité des échanges est une valeur clé de Voisin-âge. Ainsi, Jacqueline peut recevoir la visite et les petites attentions de Gaëlle comme elle peut échanger quelques mots au téléphone avec Yves mais elle peut aussi aller chercher de temps en temps leurs enfants à l'école, ce qui leur donne un sérieux coup de main. Un dispositif qui permet à la fois de retisser des liens sociaux au sein d’un quartier mais aussi d’éviter à des personnes âgées de se retrouver isolées.

Si l’attention et les actions sont souvent portées vers la bien-traitance et le bien-être des personnes aidées, les dispositifs centrés sur les aidants sont tout aussi importants. Au cœur de ces derniers, un élément primordial : l'écoute. Mais pas n'importe laquelle : celle de personnes qui sont passées par là, qui ont vécu des histoires d'accompagnement similaires.

Avec nos Proches : un appel qui fait du bien

C'est en conjuguant la chaleur de la voix et l'anonymat du téléphone qu’œuvre le réseau social d'Avec nos Proches. L'aide devient simple comme un coup de fil : l'aidant dans le besoin appelle en composant le numéro de la ligne et un parrain bénévole répond selon les disponibilités qu'il a indiquées. Le temps d'un appel, que chacun prend plaisir à prolonger, les tabous se volatilisent et une écoute bienveillante et bienfaisante opère entre aidant "novice" et aidant "expérimenté". Cette écoute peut être aussi réconfortante que pratique : en devenant aidant, on a autant besoin de se libérer d'une charge émotionnelle que de se faire orienter vers des structures adéquates qu'elles soient institutionnelles, associatives ou médicales. Et, pour le parrain bénévole, c'est tout simplement l'opportunité de tendre la main -ou l'oreille- à quelqu'un qui traverse la même situation que lui, quelques années auparavant, et pour qu'au final grâce à cette entraide, aucun aidant n'ait le sentiment de sentir seul.

Si le terme d’”aidant” et les enjeux qui y sont associés restent à démocratiser, ce sont aujourd’hui de nombreuses communautés qui en émergent. Cet aspect communautaire permet la reconstruction de liens, porteurs d’humanité et d’entraide. Au final, il n’est pas improbable que le monde des personnes âgées permette de renouer des liens au sein des quartiers.

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