SPEAR, la coopérative qui redonne du sens à votre argent

Créé il y a un an, SPEAR (société pour une épargne activement responsable) propose aux épargnants une solution innovante et participative pour placer leur argent au service de projets socialement utiles. Nicolas Dabbaghian nous a expliqué le fonctionnement de ce système. Par Etienne Hayem et Antonin Léonard Le déclic se passe en 2010. Alors stagiaire dans une grande banque française, François Desroziers, l’un des trois co-fondateurs du projet, découvre le prêt entre particuliers et y voit rapidemment un potentiel important. Il convainc alors ses amis de longue date, Quentin Brackers de Hugo et Nicolas Dabbaghian de se lancer dans l’aventure. Leur mission ? Contribuer à réformer un système d’épargne non transparent et défaillant qui a bien montré ses limites depuis que la crise des subprimes a envahi nos écrans. Leur approche ? “Il s’agit essentiellement de recréer du lien entre les épargnants et les emprunteurs” explique Nicolas Dabbaghian. Pour cela, les jeunes entrepreneurs ont imaginé une autre manière de mettre ces derniers en relation que le système bancaire actuel, qu’ils jugent trop opaque. [caption id="attachment_3155" align="alignnone" width="640"]

Nicolas Dabbaghian, SPEAR (CC Etienne Hayem)[/caption] Avec leur partenaire bancaire, le Crédit Municipal de Paris, et plus récemment la Société Générale, ils ont donc mis au point un montage financier qui permet de donner aux épargnants le choix de la destination de leur épargne en l’attribuant spécifiquement à un ou plusieurs projets correspondant aux valeurs de SPEAR. Plus concrètement, Nicolas explique :

Ce que nous proposons, c’est un produit d’épargne simple, très similaire à de l’épargne bancaire classique : sécurisé et rémunérateur. Il ne s’agit donc pas de spéculation. Autrement dit, tu ne deviendras pas millionnaire même si le projet cartonne. Inversement, si le projet ne marche pas bien tu ne seras pas ruiné non plus. Par ailleurs, nous ne faisons pas de prêts aux particuliers, uniquement aux entreprises et associations : Spear n’est pas là pour financer des écrans plats !

Mais derrière la simplicité apparente du projet se cache une véritable une ingénierie financière.

“Nous, on veut créer une coopérative en mode 2.0 !”

C’est que, même si les banques éthiques existantes comme la NEF (Nouvelle Economie Fraternelle) sont une inspiration pour les trois entrepreneurs, l’ambition de SPEAR va plus loin : “La NEF était en avance sur son temps notamment en terme de transparence bancaire” explique Nicolas “mais ils n’ont pas d’approche collaborative : les épargnants ne peuvent pas choisir de financer un projet en particulier, et leur utilisation d’internet n’est pas encore assez poussée. Nous, on veut créer une coopérative en mode 2.0 !” Ainsi, les épargnants de SPEAR, achètent en fait des parts sociales de l’entreprise qui leur donnent accès à un droit de vote, quelque soit le montant de leur apport. Un choix qui ajoute des contraintes, avoue Nicolas, “Mais au final on voulait vraiment le faire parce qu’on y croit et que l’on voulait montrer l’exemple jusqu’au bout” affirme-il. Et puis, ce choix a aussi des avantages indéniables puisque cela permet aux épargnants de pouvoir prétendre à 18% de réductions d’impôts au titre de la loi Madelin, ou 50% sur l’ISF si la somme est bloquée pendant au moins 5 ans. Un argument supplémentaire pour attirer des épargnants.

Des projets soigneusement sélectionnés

Tous les projets sont validés en amont avant d’apparaitre sur le site. Un processus exigeant réalisé grâce à une grille de rating qui comprend environ 150 questions sur différents thèmes : gouvernance, conditions de travail, impact social, impact environmental, impact culturel... en plus bien sûr d’un diagnostique financier du projet. “Nous rencontrons plusieurs fois les porteurs de projets pour vérifier les différents points, et les faire progresser si besoin.” explique l’entrepreneur, qui détaille : “Notre priorité est de trouver des projets qui correspondent à ces critères d’engagement et d’innovation pour l’intérêt de tous. Ils sont sélectionnés sur la base de la grille par l'équipe. Si un projet est déclaré tangent, il est alors présenté à un comité de sélection indépendant qui statue sur la validation éthique des projets”. Fort de cette rigoureuse méthodologie, le projet a tout récemment obtenu le label FINANSOL, qui certifie que SPEAR se consacre au “financement d’activités à forte utilité sociale et environnementale qui ne pourraient être financées par les circuits plus classiques. Il atteste également de l’engagement de l’intermédiaire financier à donner une information fiable sur le placement labellisé et les activités financées.” Parmi les heureux élus, l’association Basiliade qui s’occupe d’aider les personnes touchées par le SIDA dans leur intégration sociale a réussi à se trouver près de 90.000 euros grâce à SPEAR, pour un budget total de 188.000, le plus gros des sept projets déjà financé par SPEAR depuis son lancement en février 2012. Les fonds permettront à l’association d’acheter des appartements. “Car le sida n’est pas qu’une maladie, c’est aussi souvent malheureusement un déclassement social” explique Nicolas.

Autre projet dans les tuyaux, le projet Made in Montreuil ambitionne de créer un lieu de plus 1700 m2 permettant d’accueillir des artistes et de stimuler la collaboration entre artistes, créateurs indépendants, et entrepreneurs.

http://vimeo.com/26102119 Mais que se passe-t-il si le projet n’attire pas assez d’épargne ? “La banque peut éventuellement allonger le prêt si le projet a une contrainte de deadline, mais cela implique une élévatie absence de miniration du taux d’intérêt” précise Nicolas avant d’ajouter : “Mais notre travail chez SPEAR, c’est justement de récolter de l’épargne!” Il reconnaît néanmoins que ce n’est pas la partie la plus facile du travail, car l’épargne des Français est assez peu mobile :

La plupart des gens sont convaincus du bien-fondé de l’idée, mais il est plus difficile de les faire passer à l’action

La coopérative a tout de même déjà collecté plus de 330.000 euros et compte environ 80 sociétaires.

“On veut que les gens fassent leur choix en fonction de leur coup de coeur”

Malgré une sélection exigeante des projets, ce sont toujours les sociétaires qui choisissent in fine d’apporter les fonds ou pas. Là dessus, un point important du dispositif est que les épargnants touchent environ 2 % quel que soit le projet, son risque, sa rentabilité, ou son impact. Un choix assumé par l’équipe de SPEAR : “On veut que les gens fassent leur choix en fonction de leur coup de coeur, plus que par des critères financiers, ou le modèle économique derrière.” Ceci d’autant que les projets sont de toute façon déjà validés par le partenaire bancaire, qui porte le risque du projet. Car, in fine, c’est un crédit bancaire classique qui est octroyé par la banque. Cette dernière rémunère en contrepartie les comptes à terme dans lesquels sont déposés les fonds des épargnants de la coopérative. La différence majeure, c’est que la banque applique un taux d’intérêt minoré puisqu’elle fait des économies en se finançant par les fonds déposés par SPEAR plutôt que sur le marché interbancaire.

Selon Nicolas, cette formule a l’avantage de la simplicité :

On veut que ce soit aussi simple qu’un dépôt bancaire dans l’esprit des gens.

Quant à la coopérative SPEAR, elle tire plusieurs sources de revenus de toute cette tuyauterie financière. Tout d’abord, elle perçoit une commission de 1% du montant de chaque projet financé, que les banques reversent à SPEAR au titre d’apporteur d’affaire. De plus, l’emprunteur paie aussi des frais de dossier d’environ 1%, en guise de rémunération pour les services de diagnostique et de la communication qu’effectue SPEAR. Enfin, les épargnants doivent également débourser 3% de leur apport au titre des frais de souscription. Mais l’entrepreneur précise : “Mais avec les déductions fiscales, ces frais sont largement amortis dès la première année, et nous espérons réduire ces frais dès que possible”.

Vers une collaboration renforcée

Pour le moment, notre priorité est d’atteindre un certain volume d’épargne et de projet” reconnaît Nicolas. Pourtant, l’ambition du projet est bel et bien de s’orienter vers une démarche de plus en plus collaborative. “Nous voulons notamment permettre aux sociétaires de voter pour les projets qui seront financés par le pot commun générés par les bénéfices futurs de SPEAR” avance l’entrepreneur. Depuis son lancement, la plateforme en ligne a également été améliorée pour permettre aux épargnants de poser leurs questions, et des rencontres entre épargnants et porteurs de projets sont en train de se mettre en place.

“Plus globalement, nous espérons également profiter de la transparence du système pour que les gens s’impliquent dans la coopérative. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons créé la “communauté des inspearés”, qui regroupe nos sociétaires les plus engagés. À terme, nous voulons que ces personnes participent aux prises de décisions importantes et soient nos ambassadeurs”.