Les communautés collaboratives, objet sociologique non identifié

Différents des "communautés traditionnelles", à la croisée des réseaux sociaux et des lieux physiques, de nouveaux collectifs émergent autour des services collaboratifs. Une étude sociologique du Groupe Chronos cherche à y voir plus clair.

"De nos jours, si vous ne faites pas partie d'une communauté, vous êtes vraiment tout seul", ironise le journaliste Anand Giridharadas dans une tribune pour le New York Times. Alors que les communautés réelles, fondées sur des liens forts, sont sur le déclin, poursuit le journaliste, le mot, employé à tort et à travers, témoigne d’obsessions nouvelles : un attrait coupable pour les réseaux sociaux, le rejet grandissant des logiques de management “top-down”, l’inconfort vis-à-vis des modèles de consommation classiques. Il n’y voit rien de bon, jugeant que l’on est en train de prendre des vessies pour des lanternes et que cette résurgence des “communautés” n’est qu’un leurre dans une société toujours plus individualiste et capitaliste.

Sa critique s’adresse, entre autres, à l’économie collaborative. Si elle recouvre une multiplicité de modèles économiques, tous ses acteurs s’accordent pour dire que le socle des services collaboratifs sont les communautés. “C’est la fin du consommateur comme on l’entendait. D’ici dix ans, il sera mort. Le consommateur ne se définira plus comme tel mais comme “membre d’une communauté”, soulignait Rachel Botsman, auteur de What’s mine is yours : The Rise of Collaborative Comsumption, dans une interview à l’AFP. De quoi parle-t-on lorsqu’on parle des communautés ? Pour dépasser d’un côté le pessimisme, de l’autre la prophétie, il faut se saisir de cet objet sociologique et l’analyser.

L’émergence des communautés comme acteur clé de la chaîne de production de la valeur souligne un réencastrement du social dans l’économie et change la logique traditionnelle de l’offre et de la demande. Pour comprendre la portée économique, sociale et politique de ces nouveaux modèles, un détour par l’analyse sociologique des communautés est nécessaire avant de crier à la révolution ou au “community washing”.

L’emploi générique du terme “communauté” pour définir les destinataires et contributeurs des services collaboratifs masque une complexité qui va de pair avec l’absence de définition partagée de l’économie collaborative. L’étude publiée par le cabinet Chronos en janvier 2014, Les communautés dans la fabrique des services collaboratifs, s’appuie sur huit services pour analyser différents modèles de communautés, en France et ailleurs :

 

Ici Montreuil : espace de coworking et FabLab à destination des artisans et artistes montreuillois

BlaBlaCar : plateforme de covoiturage ; optimise l'usage des voitures particulières

Airbnb : plateforme de location de logements entre particuliers

Mutinerie : espace de coworking à Paris, 19e

Park Slope Food Coop : supermarché coopératif à New York

Trade School : école participative fonctionnant grâce au troc

La Ruche qui dit Oui : réseau de communautés d'achat direct aux producteurs locaux

KissKissBankBank : plateforme de financement participatif dédiée aux projets créatifs

 

Le cœur du dossier est un référentiel, qui met en exergue six dimensions structurantes des relations entre communautés et services. Elles sont prises en compte par tous les porteurs de services collaboratifs dans leurs réflexions sur la constitution, la mobilisation, la fidélisation de communautés de contributeurs. Il peut donc se lire comme un “mode d’emploi” pour créer un service collaboratif en s’appuyant sur des leviers cohérents par rapport à la nature du projet :

1. Relations : la densité des liens générés par le service

2. Sélectivité : les conditions d'accès au service

3. Animation : l'articulation du "on line" et du "off line"

4. Ancrage : la relation des services aux territoires

5. Adaptabilité : la flexibilité du service

6. Gouvernance : les modes de gouvernance

Trois indicateurs, associés à chaque dimension, permettent de les décrire et de comparer la stratégie des différents services.

  Cette étude est une première étape, qui mérite d’être prolongée, mais souligne déjà que l’on ne peut pas juger des nouvelles formes de communautés qui émergent à la croisée des mondes réel et numérique, à l’aune d’une vision “traditionnelle” de la communauté. Les services collaboratifs jouent, selon les cas, une fonction intégratrice (définition forte de la communauté) ou agrégatrice (définition faible). Entre ces deux pôles, se déploie la complexité des modèles de communautés, passionnants parce que s’y reconfigurent, ou pas, et c’est la nuance à apporter, des enjeux de gouvernance, de modèles économiques, de partage de la valeur. Autant de sujets qui seront au coeur des discussions lors du OuiShare Fest - L'Âge des Communautés en mai prochain.