Le tourisme partagé, une nouvelle filière ?

Ce n’est plus à prouver, la consommation collaborative a conquis le coeur des Français. Et si elle est souvent perçue comme une solution anticrise, elle est aussi une alternative moins désincarnée que les modes de consommation traditionnels. Surtout, propulsée par les possibilité qu’offre Internet, elle vient remettre en question des pans entiers de l’économie traditionnelle. Qu’en est-il du tourisme ?

OuiShare - Tourisme collaboratif from Marc-Arthur Gauthey « L’émergence de nouveaux acteurs numériques dans le tourisme est à l’origine d’une évolution en profondeur du partage de la valeur dans l’ensemble de la filière touristique, qu’il convient de réguler, d’anticiper et d’accompagner ».

Il faut bien l’avouer, les professionnels de l’hôtellerie ont l’air un peu perdus. Ils n’ont pas vu venir le train du numérique. Pour eux, Expedia, Booking (qui ne sont d’ailleurs pas conviés), Airbnb sont des ennemis, en aucun cas des partenaires. Ils se sentent prisonniers d’usages qu’ils n’ont pas choisis, et ont pris l’habitude de voir toute innovation comme une menace pour leur activité plutôt que comme une évolution bénéfique au secteur. Voilà pourquoi leur première préoccupation est de « réguler ». Réguler pour freiner. Réguler pour que rien ne change.

A titre exemple, dans une interview à Without Model le 3 février 2014, Gilles Babinet racontait sa conversation avec le dirigeant d’un grand groupe hôtelier : “ je l’interroge sur son point de vue face aux évolutions de son secteur et à la place des intermédiaires numériques, qui ont pris jusqu’à 25% du marché en valeur. Il me répond qu’il ne fait rien, qu’il n’y a rien à faire. Il me confie également que certains de ses concurrents ont établi des contacts pour mener une action conjointe et qu’il n’a pas donné suite. C’est une triple erreur : croire qu’on ne peut rien faire, ne rien faire et rester seul.”

Il arrive au secteur du tourisme ce qui arrive à celui de la mobilité et des taxis. On en parle moins car les hôteliers, si puissants soient-ils, n’ont pas le même pouvoir de nuisance. Pourtant, plutôt que d’adopter une position exclusivement défensive, peut-être auraient-ils pu voir les choses ainsi :

 

« L’émergence de nouveaux acteurs numériques est à l’origine d’une révolution en profondeur offrant des opportunités exceptionnelles qu’il faut absolument comprendre afin de les saisir dès aujourd’hui ».

En d’autres termes, les acteurs du tourisme peuvent faire le choix de défendre le statu quo et leur pré carré, ou profiter de ce dynamisme pour se réinventer en travaillant à plusieurs, pour se repositionner, et pour s’appuyer sur des ressources qui lui sont propres. Voyons les choses du côté des opportunités !

Une nouvelle mobilité pour les touristes

Si Air France et la SNCF ont peu à peu fermé des lignes peu rentables, la France et l’Europe n’ont jamais été aussi bien desservies grâce au covoiturage. BlaBlaCar, Carpooling offrent peut-être le maillage du territoire le plus dense du monde grâce à la diversité des offres de trajets qui y sont disponibles. Ils favorisent ainsi une mobilité pour tous : un Paris - Lille en covoiturage coûte environ 15 euros.

De même, Drivy, OuiCar, Deways et autres acteurs de l’autopartage ont divisé par trois les tarifs moyens pratiqués par des Avis ou Europcar. Conséquence : pour bien des gens, partir en week-end redevient abordable. On voit aussi développer dans les aéroports des concepts tels que FlightCar et TravelerCar, lesquels vous permettent de louer votre voiture à des touristes pendant que vous êtes vous-mêmes à l’étranger. Meme Easyjet s’y est mis en lançant récemment easyCar Club. Bref : se déplacer n’a jamais été si facile, ni si économique.

Pour les vacances, les concepts fleurissent et s’adressent à ces cibles de plus en plus spécifiques, comme en témoignent Jelouemoncampingcar (location de camping-cars entre particuliers), Gamping (camping chez l’habitant), le Woofing (travail agricole contre hébergement), la bourse aux équipiers (recherche d’équipiers pour croisières).

Reste que l’on pense toujours à l’hébergement entre particuliers quand on pense au tourisme collaboratif. Qu’en est-il ? Guest to Guest et Knok facilitent l’échange de maison, Couchsurfing vous permet de dormir gratuitement chez l’habitant tandis qu’Airbnb, BedyCasa ou Sejourning proposent la location de chambres et d’appartements entre particuliers. Le modèle est éprouvé, il répond à un besoin simple : un hébergement de qualité accompagné d’une expérience humaine, le tout à prix décent. Quant à savoir si les parts de marché des hôteliers s’en trouvent impactées... 93% des voyageurs Airbnb déclarent vouloir « vivre comme des locaux » et 90% rechercher « plus d’équipements que dans une chambre d’hôtel ». L’hébergement chez l’habitant répond à des demandes spécifiques que les hôteliers traditionnels ne sont a priori pas en mesure de satisfaire.

Et la prochaine étape ?

Un tourisme de tous les jours, une mobilité du quotidien : voyager et travailler en même temps. En 2017 la France comptera 17% de travailleurs freelance et indépendants. Voilà pourquoi le coworking est une opportunité formidable pour les destinations touristiques. Un lieu de calme, de travail et de rencontre où il est possible d’alterner loisirs et phases de concentration. Connecté partout dans le monde, l’emploi est en cours de réinvention, et avec lui, le concept même de vacances. Le jour où la France disposera d’assez d’espaces des coworking, toutes les dynamiques territoriales (saisonalité, temporalité) auront été repensées. On ne parlera peut-être plus de touristes mais d’habitants éphémères. C’est la vision que propose Copass, sorte de pass navigo du coworking.

Les communautés: le cœur du service

Toutes ces expériences ont en commun de remettre l’individu, l’humain et la confiance au coeur de l’expérience. Lorsque vous allez dîner chez l’habitant grâce à Cookening, vous avez droit à une rencontre pour le prix d’un repas. Voilà pourquoi ces concepts se construisent autour de communautés. Voilà pourquoi ils créent l’enthousiasme. Le tourisme de partage est une opportunité car il s’approche au plus près des aspirations les plus spécifiques des individus. C’est tout simplement la longue traîne appliquée au secteur. Une opportunité aussi car ils remettent en cause les modèles établis et que celui qui se croit trop sûr de ses forces finit toujours pas s’écrouler. C’est une opportunité enfin car il élargit à l’infini l’univers des possibles et notre aspiration à vivre quelque chose d’unique. Le touriste collaboratif n’existe pas : appelez-le « habitant éphémère ».

Dans soninterview donnée à Without Model, Gilles Babinet tranchait enfin : « Ceux qui ne s’engagent pas dans des modèles ouverts et collaboratifs sont très mal placés pour la bataille du numérique ». Libre à chacun de choisir son camp.