Le coworking pour pacifier la ville

« Les espaces ouverts et collaboratifs, c’est bien, mais des bureaux, ça reste des bureaux ! » Audrey, 32 ans, chargée de projet pour un grand groupe immobilier, reste dubitative lorsqu’elle évoque le coworking et les tiers lieux dans le programme dont elle est en charge.   Le co-working et le gisement solaire: Marc-Arthur Gauthey et Laurent Prieur, dans Green Business – 19/01 sur wat.tv A l’intérieur des écosystèmes innovants les espaces de coworking sont presque devenus la norme, mais au dehors, ils restent encore perçus comme des lieux où l’on croise d’éternels adolescents : un endroit où travaillent ceux qui ne travaillent pas vraiment. Un endroit que viennent visiter les cadres des grandes entreprises lors d’expéditions qui prennent parfois l’air d’une sortie au zoo. En fait, le coworking est un épiphénomène dans le monde du travail « normal » qui s'agite à l'autre bout du RER A. Pourtant, c'est une réponse concrète à une véritable problématique sociale et urbaine : la mobilité des individus est essentiellement guidée par les contraintes liées à leur emploi.  

« J’attendis une bonne heure à la même place et puis de cette pénombre, de cette foule en route, discontinue, morne, surgit sur les midis, indéniable, une brusque avalanche de femmes absolument belles. » Céline, Voyage au bout de La Nuit.

  Dans un espace de coworking, on croise des entrepreneurs, des startupers, des freelances, des designers, des journalistes, des écrivains, des étudiants, des voyageurs, quelques chômeurs, et même des salariés de grands groupes. Ils partagent un lieu et des ressources. La plupart travaillent seul et ont en commun d’incarner un nouveau type de mobilité propre à notre époque : il suffit d’un ordinateur et d’un point wifi pour être au bureau. Ce qu’ils viennent chercher dans l'espace de coworking, c’est un lieu pour travailler et pour séparer son chez-soi de l'univers professionnel. Pour rompre une certaine solitude aussi. Ils y trouvent de la flexibilité, des services et un écosystème au sein duquel de nouvelles opportunités peuvent surgir. Le coworking, ce n’est ni la bibliothèque, ni le Starbuck, ni Regus.  

Je connais beaucoup de gens dans la Silicon Valley qui travaillent seuls parce qu'il est possible de le faire. Au bout de huit jours, quinze jours, trois mois, ils se sont presque suicidés. Ils ont besoin de partager leur expérience. L'homme reste un animal social. Michel Serres. Interview dans Challenges du 20 février 2014.

  Les espace de coworking sont nés il y a environ dix ans, avec l’apparition massive de travailleurs freelance. On en compte environ quatre mille dans le monde et leur nombre a doublé entre 2012 et 2013. Une petite centaine son disséminés en France, parmi lesquels Cowork In Grenoble, La Cordée (Lyon), Les Satellites (Nice), Coworking Lille, The Carrosserie (Marseille), Node (Bordeaux). Tous ont une identité propre, mais les valeurs souvent partagées. Et si à Paris, Mutinerie et Numa sont les plus connus, La Fonderie, l’agence digitale de la région Ile de France, a lancé un appel à projet pour l’ouverture de 14 nouveaux espaces l’an prochain.   Ainsi, en voyant des espaces fleurir et les travailleurs aller et venir d’un lieu à un autre, Stefano Borghi et Eric Van Den Broek, tous deux fondateurs de coworking, ont eu l’idée de créer Copass, un sorte de passe Navigo pour travailleurs nomades. La dimension sociale en plus : Copass permet à ses adhérents de venir travailler dans tous les 150 espaces partenaires à peu près aussi simplement qu’on prend le métro. La devise du projet :  

A global community of local communities.

  Dans son dernier ouvrage, Sans Bureaux Fixe, Bruno Marzloff explique à quel point les mutations du travail et des villes ainsi que les nouveaux outils créent une nouvelle génération de jeunes actifs pour qui la mobilité est à la fois une évidence, une liberté et un impératif professionnel. Les espaces de coworking leur sont de plus en plus indispensables, comme un point de chute ponctuel autant que comme un ancrage social. La valeur d’un espace de travail collaboratif n’est pas dans ses murs mais dans ceux qui y travaillent. On appelle cela une communauté. Et n’en déplaise à Audrey, c’est bien plus qu’un bureau.