2025, un monde sans distributeurs ?

À quoi pourrait ressembler le monde de la distribution en 2025 ? Louis-David, Antonin et Mathieu ont laissé libre cours à leur imagination et vous racontent la future (?) histoire de Benjamin. Fin août à Paris, c’est la rentrée mais pas encore tout à fait. Encore un peu de chaleur, pas beaucoup d’agitation, suffisamment peu pour que nous trois (Antonin, Louis-David et Matthieu), dans la cave de Mutinerie nous prolongions les réflexions entamées en juillet au cours de l’étude Fab4Revolution sur la distribution : décrypter et analyser les évolutions de modèle économique dans la distribution, notamment sous l’influence de la montée en puissance de l’économie collaborative. Au fur et à mesure que nous listons les évolutions récentes et que nous en imaginons de nouvelles, nous voyons se dessiner un scénario qui ne nous semble pas improblable, même s’il apparaît radical : un monde sans les distributeurs, ou du moins tels nous les connaissons aujourd’hui, un monde où plateformes numériques intéragissent avec les tiers-lieux physiques. Voici l’histoire que nous avons construite cette journée là, celle de Benjamin en 2025. A vous de nous dire si elle vous paraît fantaisiste, exagérée, crédible ou en dessous de la vérité.

Jamais au même endroit mais toujours chez soi

Samedi matin, Benjamin se réveille, ses yeux parcourent la pièce et il se remémore ce qui l’a amené ici. Il ne vit pas dans cette ville, il y passe quelques jours chaque mois pour son travail et à chaque fois il dort dans un endroit différent : on le lui prête, il l’échange contre son domicile ou il le loue pour quelques jours.

Benjamin sait parfaitement jongler entre son budget et ses scores de réputation au sein de ses nombreuses communautés pour trouver la meilleure offre disponible. Cette fois-ci, il s’était résolu à acheter des crédits sur la principale plateforme de logement entre particuliers, n’ayant hébergé personne depuis plusieurs semaines, il s’était retrouvé à court de crédits. Il va dans la cuisine, et se prépare un petit déjeuner. En sortant il valide la liste de course proposée sur l’écran du frigidaire, la commande s’effectue instantanément et il valide le lieu et l’heure de livraison. Après sa douche, il regarde les photos de la soirée de la veille, il consulte la synthèse hebdomadaire de sa présence digitale : les objets qu’il a donnés pour recyclage, les commentaires des personnes qu’il a hébergées, ceux qu’il a fait sur les restaurants qu’il a fréquentés... Le restaurant qu’il avait proposé hier a rafflé les suffrages de ses amis. Il consulte également la quantité d’énergie produit par les panneaux solaires situés sur le toit de son logement :

C’est un bon mois, les surplus disponibles lui donneront des crédits supplémentaires, une bonne nouvelle en vue de l’hiver qui s’annonce rude.

Il s’habille et reçoit quelques instants plus tard des recommandations sur son comportement alimentaire et sportif à venir, les capteurs situés sur ses vêtements ont analysé ses principales mesures et les ont corrélé à ses activités passées. Cela fait maintenant dix ans que Benjamin partage quotidiennement son comportement alimentaire et son activité physique. L’idéal pour les deux prochains jours : courir une heure et manger principalement des légumes. Grâce à son agenda partagé avec ses amis du quartier, une application lui suggère de retrouver son ami Thomas demain matin pour aller courir ensemble. Quelques clics plus tard, le rendez-vous est pris pour le lendemain à l'entrée du parc.

Faire soi-même plutôt qu’acheter

Sa réflexion est interrompue par la sonnerie de la porte, la livraison mensuelle et systématique de produits d’entretien de la maison vient d’arriver. Ce qui lui rappelle qu’il reçoit des amis à dîner ce soir pour préparer leur prochain voyage. La cuisine est loin d’être la spécialité de Benjamin mais il apprécie de préparer des plats pour des amis. C’est d’autant plus important que ce sera leur première rencontre physique tous ensemble. Ils se sont connus à la fin de leurs études quand ils ont choisi la même spécialisation. Les cours étaient suivis en ligne et les travaux en groupe étaient réalisés sur une plateforme collaborative. Ils fêtent la première année après leur diplôme. Un site internet lui propose une liste de trois diners possibles qui prennent en compte les goûts, les habitudes alimentaires et les dîners récents de ses 4 amis. Après avoir fait son choix, il sélectionne dans la liste des ingrédients ceux qui manquent. Il regarde aussi le type de matériel nécessaire et s’aperçoit qu’il lui manque un wok. Puis son oeil s’attarde sur une dernière ligne qu’il aurait mieux fait de lire avant de commander les produits : la qualité du plat résidera essentiellement dans le tour de main pour réaliser la sauce.

Il sort de l’appartement et se dirige vers l’Open Placedu quartier, un ancien supermarché reconverti depuis la faillite de l’enseigne au début des années 2020.

Il est sûr d’y trouver le wok qu’il cherche et les appareils de cuisson dont il a besoin, c’est à cet endroit que sont centralisés les appareils ménagers des gens du quartier. En entrant, il voit le panier hebdomadaire de produits frais livré par les producteurs de la région. Quelques personnes sont déjà là. Il explique à Xavier, grand manitou du lieu, le dîner qu’il souhaite préparer et sa crainte de rater la sauce. Xavier lui répond que le le wok est disponible et que s’il le souhaite il pourra l’aider à préparer la sauce. Benjamin aimerait aussi des assiettes commémoratives pour cette soirée de retrouvailles.

Il se dirige vers l’imprimante 3D et lance l’impression des assiettes, selon le patron et le motif qu’il a dessiné.

Il retourne dans l’appartement, la mâtinée touche à sa fin. C’est le moment de terminer un travail qu’il avait commencé avec ses collègues qui sont basés au Moyen Orient. Quelques discussions permettent de lever les blocages et de réajuster le plan de travail.

Réparer et construire les produits du quotidien

En début d’après midi, il sort et va vers l’Open Place. Il amène avec lui les déchets recyclables et une cafetière qui fuit. Quand il entre, les ateliers sont tous occupés. Il reconnaît Marc et Cyril, ses voisins du dessus qui réparent des appareils ménagers.

La famille Martin est en train de terminer l’assemblage d’une voiture. En laissant sa cafetière à réparer, il choisit d’en faire don. Il est crédité dans une monnaie complémentaire qu’il peut utiliser sur le service de mobilité de la ville.

Il reçoit un avis de mise à disposition de sa commande passée le matin. Les produits sont prêts à être retirés dans le dépôt logistique situé à l’entrée de la ville. Il ressort et consulte l’application de covoiturage de la ville : Delphine pourrait assurer le trajet avec lui. Il est séduit par l’idée, d’après son identité numérique elle est en contact avec des amis qu’il a perdu de vue et elle a voyagé récemment dans la ville où il envisage de partir en vacances, elle sera sûrement de bon conseils. Sur le chemin du retour, il écrit une recommandation à Delphine, qu’il a bien envie de revoir maintenant. Il s’empresse de la suivre sur les autres plateformes collaboratives qu’il a coutûme d’utiliser. Il retourne à l’Open Place. Les assiettes sont prêtes et Xavier est prêt pour l’aider à préparer la sauce. Sophie écoute aussi, elle donne ses propres conseils pour aider Xavier et Benjamin dans la préparation et propose à Benjamin de lui prêter une nappe pour son dîner. Sophie vit dans l’immeuble où Benjamin réside, elle ne travaille plus et sa famille vit dans une autre ville. Elle aide Xavier à tenir l’Open Place.

Elle est toujours amusée de voir la réaction des jeunes quand elle raconte qu’avant elle allait en périphérie acheter ce dont elle avait besoin, qu’elle jetait ce dont elle n’avait plus besoin et que ses échanges étaient limités aux gens qu’elle connaissait bien. “Mais tu n’avais pas confiance dans les gens, Sophie ?” lui demande Benjamin.

Avoir accès plutôt que posséder

En rentrant, il prépare la table avec la nappe de Sophie et dispose ses nouvelles assiettes. Les amis arrivent et pendant le diner, ils préparent leur week end sur la côte. Ils se connectent sur Mobizcity qui leur propose un co-voiturage ainsi qu’un logement.

En sortant de chez Benjamin, ses amis enregistrent une vidéo de commentaires positifs sur le dîner.

Allongé sur son lit, Benjamin voit clignoter une alerte sur l’écran situé sur son pantalon. La marque lui propose d’essayer un nouveau revêtement à mettre sur son pantalon, l’hiver approche. Il a contribué à la spécification de ce nouveau vêtement, comme tous ceux qu’il porte. Il a périodiquement appuyé sur “j’ai froid” ou “j’ai chaud” et ces informations ont été centralisées et communiquées à la marque. Benjamin s’endort en pensant à sa journée du lendemain. Après son footing avec son ami Thomas, il passera la mâtinée à répéter avec d’autres musiciens sur le réseau. Les partitions du dernier album de leur groupe favori viennent de sortir et il faudra attendre 8 mois avant qu’ils viennent en concert près de chez Benjamin. Jouer avec d’autres est donc la seule façon pour l’instant d’entendre cette musique. Sophie lui a raconté qu’avant on pouvait écouter la musique dès la sortie des partitions, qu’il suffisait d’acheter un disque. Il ne l’a pas vraiment crue. Après le déjeuner il donnera à l’Open Place son cours mensuel sur la fabrication d’objets en bois. Les yeux clos, il voit apparaître le visage d’une jeune fille qui a suivi tous les cours qu’il a donné cette année et à qui il n’a pas osé parler. Peut-être demain... Voilà c’était l’histoire de Benjamin, en 2025. Rêve ? Utopie ? Peut être bien plutôt un cauchemar pour les distributeurs, qui devront redéfinir leur rôle à l'heure où :

  • moins de produits seront vendus car on les réparera ;
  • les producteurs et les marques seront en contact direct avec leurs clients ;
  • des monnaies complémentaires inciteront à acheter moins de produits transformés ;
  • des plateformes d’intermédiation joueront le rôle de centralisation que jouent aujourd’hui les distributeurs physiques ;
  • des tiers-lieux joueront le rôle social qu’on joué les distributeurs pendant longtemps ;
  • certains produits seront construits par les consommateurs, en petite série, voire en exemplaire unique.

Illustrations

aramolara

Paolo Margari